Sommes-nous, en tant que peuple, condamnés à la résilience? Cette question m’a traversé l’esprit en apprenant le licenciement de 547 employés du Groupe TVA, soit près de 31 % de son effectif. On ne peut que ressentir un pincement au cœur face à cette annonce. Cependant, j’ai malheureusement l’impression que cette nouvelle n’est que le symptôme d’une maladie beaucoup plus profonde qui ronge notre industrie et même la collectivité québécoise.
Depuis longtemps, nous avons vécu sur la lancée de notre éveil national en sous-estimant le besoin de se renouveler. Ce en manquant d’initiative, de proactivité et de vision. La rapidité de la transformation numérique, couplée à l’inertie des industries, nous frappe de plein fouet. Chaque jour, le sentiment d’impuissance s’accentue, le retard aussi. Et malheureusement je constate que la tentation de se draper dans des discours victimaires, de pointer du doigt les géants tels que Facebook, Google ou Netflix est grande. Cependant, la vérité est que la responsabilité est partagée et je pense qu’il est important aujourd’hui et plus que jamais de reconnaître ce que l’on constate.
Il est vrai que, ces derniers mois, j’ai beaucoup discuté de la transformation de l’industrie médiatique et de la publicité. La situation actuelle est le reflet d’une grenouille qui a longtemps cuit à petit feu, jusqu’à se retrouver complètement bouillie. D’un côté, nous acceptons des modèles d’affaires imposés sans réel contrat social, tant que nous en bénéficions quelque peu. De l’autre, nous luttons vaillamment, mais maladroitement, contre un courant qui semble insurmontable avec des tentatives qui ressemblent souvent à des imitations de modèles mondiaux (pensons à QUB musique, au Panier Bleu etc).
Un éléphant dans la pièce
Devant la débâcle à TVA, au-delà de la transformation de l’industrie, une autre question se pose : est-ce que l’État fédéral, à travers sa société d’État, compétitionne injustement l’entreprise privée? Ou est-ce qu’il protège, par sa forte présence, notre spécificité culturelle? Certains pourraient se demander si une part plus importante de l’argent public ne serait pas mieux investie directement dans l’industrie médiatique et culturelle québécoise, plutôt que de servir à maintenir un géant étatique questionné pour son côté hermétique, élitiste, son rôle idéologique et son efficacité relative.
La résilience est-elle donc notre condamnation?
Les Québécois ont démontré une capacité impressionnante à rebondir face à l’adversité. Cette qualité est louable, mais elle semble aussi masquer une résistance chronique au changement et il me semble que tout cela est épuisant. Les comportements actuels de nos industries évoquent en moi l’histoire de notre quête d’indépendance. Nous attendons, espérons, et un jour, réalisons qu’il est peut-être trop tard.
Mais, même dans ces moments sombres, je refuse de céder au pessimisme. Notre résilience, bien que parfois perçue comme une faiblesse, est aussi notre force. L’histoire a prouvé que nous avons la capacité de surmonter les épreuves, même si elles laissent des cicatrices.
Pour avancer, nous devons revoir nos stratégies. Pour contrer les problèmes soulevés par cette crise lancinante, mais aussi sortir d’un cycle exténuant nous devons proposer des solutions qui non seulement répondent aux symptômes actuels mais qui cherchent aussi à s’attaquer aux causes profondes. Voici les idées qui me viennent à l’esprit :
La Culture comme investissement, pas comme une dépense :
- À l’instar de la Corée du Sud, qui a décidé d’investir massivement dans son industrie du contenu culturel, le Québec pourrait envisager une démarche similaire. Le gouvernement sud-coréen a alloué environ 790 milliards de wons (622,5 millions de dollars) pour soutenir ses petites et moyennes entreprises ainsi que les start-ups du secteur culturel. L’objectif ? Accroître les exportations de contenu culturel coréen, qui ont atteint un record de 12,4 milliards de dollars en 2021, un chiffre impressionnant comparé à d’autres industries, telles que les appareils électroménagers ou les véhicules électriques. En plus de ce soutien direct à l’industrie, le gouvernement sud-coréen ambitionne également de stimuler le tourisme en créant un cluster centré sur le patrimoine historique et culturel, renforçant ainsi l’impact positif sur l’économie locale.
- Pour le Québec, suivre cet exemple pourrait non seulement aider à préserver, valoriser et inverser la vapeur en ce qui a trait à son identité culturelle, mais également générer des retombées économiques notables, en particulier dans le secteur touristique. Toutefois, il est crucial de noter qu’un tel investissement ne devra pas être consacré à maintenir obstinément des modèles d’affaires moribonds, mais plutôt à stimuler l’innovation et à adopter de nouvelles stratégies adaptées à l’évolution du marché.
Formation et éducation continue :
- Investir dans la formation continue des travailleurs du secteur médiatique et culturel. Les initier aux nouvelles technologies, aux techniques du marketing numérique et aux méthodes de diffusion en ligne.
- Mettre en place des ateliers sur les compétences entrepreneuriales pour aider les professionnels à s’adapter à un environnement médiatique en constante évolution.
Soutenir l’innovation locale :
- Créer des incubateurs pour les start-ups médiatiques, offrant des ressources, des mentors et des financements pour développer de nouvelles idées.
- Encourager la collaboration entre les entreprises traditionnelles et les start-ups pour explorer de nouvelles méthodes de diffusion et de monétisation. (l’exemple de RAD me vient en tête)
Réévaluation des investissements publics :
- Plutôt que de concentrer les fonds publics sur de grandes sociétés d’État, les rediriger vers des initiatives locales et régionales, en soutenant directement les créateurs, journalistes et artisans.
Support aux plateformes québécoises :
- Supporter les plateformes numériques qui favorisent la découvrabilité du contenu québécois, tout en s’assurant qu’elles soient conviviales, modernes, inclusives, accessibles aux créateurs et compétitives.
Partenariats stratégiques :
- Collaborer avec des géants mondiaux, tels que Spotify, Apple, Google ou Netflix, pour s’assurer que le contenu québécois est mis en avant. Il s’agirait d’une reconnaissance mutuelle où ces plateformes pourraient diversifier leur offre tout en mettant en valeur le contenu culturel distinct du Québec.
Réglementation et incitations :
- Établir des réglementations qui encouragent la diffusion du contenu local sur les plateformes numériques.
- Proposer des incitations fiscales pour les entreprises qui investissent dans la création et la diffusion de contenu québécois.
Sensibilisation et responsabilisation du public :
- Lancer des campagnes de sensibilisation pour mettre en lumière la qualité des contenus locaux et encourager les Québécois à s’engager activement dans la consommation de médias locaux.
Recherche et analyse collaboratives :
- Mener des études en continu pour comprendre les tendances de consommation médiatique, les besoins du public et les opportunités de marché. Partager les résultats aux créateurs et à l’industrie pour les aider à mieux cibler leurs efforts.
Concertation et représentation :
- Engager un dialogue continu avec les gouvernements pour s’assurer que les politiques et réglementations soutiennent les besoins de l’industrie québécoise.
Diversification et évolution des modèles économiques :
- Encourager l’industrie médiatique dans son exploration pour la diversification des sources de revenus.
- Repenser la chaîne de valeur publicitaire pour la rendre plus équitable. En revisitant les pratiques conventionnelles et en favorisant la collaboration entre les acteurs.
Les mises à pied chez TVA sont un autre réveil brutal, mais je me permets d’espérer qu’elles soient un catalyseur pour provoquer une plus grande ouverture au changement et accélérer notre mise en action.